L’un des apports majeurs du projet de loi portant Code de la santé en République gabonaise est l’instauration d’un véritable droit à l’indemnisation des préjudices liés aux actes médicaux, qu’il s’agisse d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins. Ce droit était déjà affirmé par la Charte du patient, créée par l’article 10 de l’ordonnance du 23 février 2018, mais faute de mécanisme spécifique, il restait largement théorique.
Actuellement, la réparation des accidents médicaux repose uniquement sur le principe de la responsabilité pour faute. Dans ce contexte, c'est à la victime qu'il revient d'apporter la preuve d'une faute commise par le professionnel ou l'établissement de santé. Or cette exigence est particulièrement contraignante puisqu' elle requiert souvent une expertise médicale, une procédure à la fois coûteuse et incertaine qui dissuade de nombreuses victimes et ayants droit. Le projet de Code de la santé vise donc à lever ces obstacles en introduisant de nouveaux dispositifs facilitant l'indemnisation.
La promesse d’une indemnisation intégrale
Principe fondamental du droit de la réparation, l'indemnisation intégrale repose sur une règle simple : la victime doit être replacée, autant que possible, dans la situation qui aurait été la sienne si le dommage n'avait jamais eu lieu. Concrètement, cela signifie une compensation financière couvrant l'ensemble des préjudices subis, sans qu'il puisse y avoir ni enrichissement ni appauvrissement de la victime[1]. Parmi ces préjudices, on peut citer :
Le préjudice corporel (souffrances endurées, invalidité)
Le préjudice matériel (frais médicaux, perte de revenus)
Le préjudice moral (impact psychologique)
Le préjudice esthétique (cicatrices visibles)
Le préjudice d'agrément (impossibilité de pratiquer une activité habituelle)
Ainsi, la promesse faite aux victimes et à leurs ayants droit est celle d'une réparation juste et complète, sans plafond limitatif, afin de leur permettre de se reconstruire dans les meilleures conditions possibles. Pour atteindre cet objectif, le projet de loi propose une refonte du régime de responsabilité civile médicale et introduit plusieurs dispositifs susceptibles de faciliter l'accès à la réparation.
Deux exceptions au principe de la responsabilité pour faute
Jusqu'à présent, toute action en réparation exigeait que la victime prouve trois éléments : un dommage, une faute et un lien de causalité. Si ce régime demeure la règle, le projet de Code de la santé apporte deux aménagements majeurs :
La présomption de faute : un allègement de la charge de la preuve
Ce mécanisme opère un renversement de la charge de la preuve : c'est à la personne mise en cause qu'il appartient, pour se dégager de sa responsabilité, de prouver que le dommage subi n'est pas de son fait.
En droit de la responsabilité médicale, la présomption de faute pourra, dès l'entrée en vigueur du projet législatif, être applicable à l'obligation d'information qui incombe au médecin et à la recherche biomédicale.
La preuve de l'information
L'information du patient est un préalable indispensable au consentement éclairé[2].
Aujourd'hui, en cas de litige, c'est au patient de démontrer qu'il n'a pas été correctement informé et que, de fait, son consentement médical était biaisé. Or, prouver l'absence d'information est un exercice délicat. C'est donc dans l'intérêt du patient que les rédacteurs de ce projet ont considéré que c'est au tributaire de l'obligation d'informer qu'il revient de prouver, par tous moyens, l'exécution de cette obligation (art. 38 al. 3).
La recherche biomédicale
L'article 82 du projet de loi prévoit que le promoteur d'une recherche biomédicale[3] (l'organisme ou la personne qui finance et organise l'étude) sera présumé responsable des préjudices subis par les participants et leurs ayants droit, sauf s'il prouve le contraire. Il ne pourra s’exonérer qu’en apportant la preuve contraire et ne pourra pas invoquer la faute d’un tiers ou le départ anticipé du participant pour échapper à sa responsabilité.
Par ailleurs, l’article 85 impose au promoteur de souscrire une assurance couvrant sa responsabilité civile ainsi que celle de tous les intervenants, afin de garantir la prise en charge des dommages causés aux participants. Toutefois, lorsque l’État est lui-même promoteur de la recherche, il se substitue à l’assureur et prend en charge directement les éventuelles indemnisations.
Enfin, même si le promoteur parvient à se dégager de sa responsabilité, les victimes ne seront pas laissées sans recours : elles pourront être indemnisées par l’ONIAM.
La responsabilité sans faute : un droit automatique à l'indemnisation
Le projet de loi va encore plus loin dans sa volonté de lever les obstacles à l’indemnisation en instaurant un régime de responsabilité sans faute pour certaines situations spécifiques. Dans ces cas, il ne sera plus nécessaire de prouver une faute : il suffira de démontrer que le préjudice résulte directement de l'acte médical pour ouvrir droit à réparation. Ce régime, particulièrement protecteur pour les victimes, s'appliquera notamment aux :
Transfusions sanguines (art. 137) : les établissements de transfusion sanguine seront tenus pour responsables de plein droit des risques encourus par les donneurs lors des prélèvements. Ils devront également souscrire une assurance couvrant leur responsabilité civile (art. 137, al. 2).
Affections iatrogènes et infections nosocomiales en situation de crise sanitaire grave (art. 497 à 499) : ce régime s’appliquera lorsque le préjudice résulte d’un acte de prévention, de diagnostic ou de soins réalisé dans le cadre de mesures prises par le Ministre de la Santé pour faire face à une menace sanitaire grave[4].
Vaccinations obligatoires (art. 525) : la responsabilité sans faute concernera également les préjudices liés aux vaccinations obligatoires, en dehors des contextes de crise sanitaire grave.
Dans la plupart des cas, l'indemnisation sera assurée par un organisme spécifiquement créé à cet effet : l'Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM).
L'ONIAM : un organisme dédié à l'indemnisation des victimes
La promesse d’une indemnisation intégrale repose en grande partie sur la création de l'ONIAM (art. 83). Inspiré du modèle français, cet organisme sera chargé d’examiner les demandes d’indemnisation et d’assurer la réparation des préjudices subis par les victimes de manière plus rapide et simplifiée, sans qu’il soit nécessaire[5] d’engager une procédure judiciaire longue et complexe.
La victime devra simplement établir l'existence d'un préjudice pour saisir l'office, qui se chargera de diligenter une expertise dont l'objectif sera double :
Déterminer l’imputabilité du dommage, c’est-à-dire démontrer que l'acte médical est bien à l'origine du dommage.
Évaluer les différents postes de préjudice afin de garantir une indemnisation complète et adaptée.
L’objectif affiché est donc de garantir une indemnisation rapide et conforme aux standards internationaux. En France, la création de l'ONIAM et des Commissions de Conciliation et d'Indemnisation (CCI) en 2002[6] a permis de désengorger les tribunaux et d’accélérer le processus d'indemnisation.
Mais si toutes ces annonces sont prometteuses, elles laissent néanmoins planer quelques incertitudes.
Critiques et enjeux de la réforme
Bien que la création de l’ONIAM et la réforme du régime de responsabilité civile médicale puissent apparaître comme des avancées majeures, plusieurs interrogations subsistent quant à leur effectivité et leur mise en œuvre dans le contexte gabonais.
Un ONIAM à la gabonaise : une solution pertinente ?
Contrairement à la France, le Gabon ne connaît pas un contentieux significatif en matière de réparation des préjudices liés aux actes médicaux. Dans la majorité des cas, les victimes privilégient l’action pénale, souvent sans même envisager de se constituer partie civile. L’objectif premier, voire exclusif, est de sanctionner le professionnel de santé mis en cause, reléguant ainsi toute démarche indemnitaire au second plan. Dès lors, la création de l’ONIAM dans un pays où la culture de la réparation est quasi inexistante soulève une question essentielle : cet organisme répond-il à un véritable besoin ou s’agit-il d’une transposition hasardeuse d’un modèle étranger ?
En France, la création de cet office visait avant tout à désengorger un système judiciaire saturé. Or, au Gabon, la problématique est toute autre : il ne s’agit pas de fluidifier un contentieux excessif, mais bien de pallier l’absence d’un recours structuré aux mécanismes de réparation. Dès lors, la priorité ne devrait-elle pas être d’abord d’informer et d’éduquer les victimes sur leurs droits à indemnisation, afin d’instaurer progressivement une culture de la réparation ?
Dans le même temps, il est crucial de sensibiliser les professionnels de santé à l’importance du signalement des événements indésirables. Actuellement, la crainte d’une action répressive les conduit trop souvent à la dissimulation et au refus de coopérer, ce qui nuit tant à la transparence du système qu’à la sécurité des patients. Or, un véritable changement de paradigme implique non seulement d’éduquer les victimes sur leurs droits, mais aussi d’instaurer une culture de responsabilité partagée, où les soignants ne perçoivent plus l’aveu d’une erreur médicale comme une condamnation annoncée, mais comme une étape vers une prise en charge plus juste et efficace des préjudices.
Une réforme sans cadre opérationnel
La promesse d’une indemnisation intégrale des victimes demeure, pour l’instant, largement théorique. Si le projet de loi prévoit un dispositif d’indemnisation rapide et simplifié, sa mise en œuvre reste suspendue à l’adoption de textes réglementaires indispensables. Pourtant, l’entrée en vigueur de l’ONIAM est annoncée comme imminente. Comment garantir l’efficacité d’un tel système si les critères de recevabilité des demandes, la gratuité ou non des expertises médicales et les délais d’indemnisation ne sont pas définis en amont ?
L’expérience gabonaise en matière législative a montré à maintes reprises une propension à adopter des textes ambitieux mais inapplicables[7], faute de mesures d’application concrètes. Ce projet de loi suivra-t-il le même chemin ? Le risque est réel de voir ces précisions réglementaires reportées indéfiniment, retardant ainsi l’effectivité de la réforme et compromettant la confiance des justiciables dans ce mécanisme d’indemnisation.
Un organisme juge et partie ?
Si le projet de loi prévoit bien un fonds dédié au financement de l’ONIAM, il fait l’impasse sur un élément fondamental du modèle français dont il s’inspire ouvertement : les Commissions de Conciliation et d’Indemnisation (CCI). En France, ces commissions indépendantes, créées simultanément à l’ONIAM, jouent un rôle clé dans l’instruction des demandes : elles apprécient leur recevabilité au regard des critères de gravité définis par la loi, rendent des avis et orientent les victimes.
L’absence de telles instances au Gabon confère à l’ONIAM une double mission contradictoire : instruire les demandes et indemniser les victimes. Cette concentration des pouvoirs, qui en fait à la fois juge et partie, soulève un sérieux problème de transparence et d’impartialité. En l’absence de contrôle indépendant, le dispositif pourrait non seulement susciter la méfiance des justiciables, mais aussi fragiliser la crédibilité même du mécanisme de réparation.
En définitive, le projet de Code de la santé marque une avancée significative pour l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux au Gabon. Cependant, plusieurs zones d’incertitude persistent. Bien que l'initiative soit louable, son succès dépendra de l’adoption rapide des textes d’application, ainsi que d’un véritable travail de sensibilisation auprès des usagers et des professionnels de santé. Sans ces mesures, la réforme risquerait de demeurer une promesse sans effet concret.
[1] C'est le principe de stricte équivalence entre la réparation et le dommage : Chabas, François, Les obligations en droit privé, 6e éd., Dalloz, 2019, p. 322
[3] La recherche biomédicale est toute recherche scientifique impliquant des êtres humains, qui a pour objectif de comprendre des phénomènes biologiques, des pathologies, ou des traitements médicaux dans le but de développer des moyens diagnostiques, thérapeutiques ou préventifs : Droit de la santé (4e édition, LexisNexis, 2017), Hervé Borré.
[4] Le texte ne définit pas la notion de "menace sanitaire grave"
[5] L'intervention de l'ONIAM n'exclut pas la possibilité pour la victime ou ses ayants droit d'engager toute autre action en justice sur la base du droit commun.
[6] Loi du 4 mars 2002, dite loi Kouchner, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
[7] La loi n° 4/82 fixant le régime de l'assistance judiciaire en République Gabonaise a été adoptée le 22 juillet 1982. Mais ce n'est qu'en juin 2012, soit 30 ans plus tard, que le décret n° 0253/PR/MJGSDHRIC du 17 juin 2012 portant organisation et fonctionnement des bureaux de l'assistance judiciaire a été pris pour en assurer la mise en œuvre : L’assistance judiciaire en République Gabonaise. Par Alden Virgil Hury Moukouangui, Juriste.
À noter en complément : l'article 288 du projet de Code de la santé instaure l'obligation pour les médecins, chirurgiens-dentistes et sages-femmes de souscrire une assurance de responsabilité civile avant d'exercer. Ceux qui sont déjà en activité disposeront d'un délai d'un an à compter de l'entrée en vigueur du texte pour s'y conformer.