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La petite histoire de la Responsabilité Médicale


« Il se forme entre le médecin et son client, un véritable contrat comportant pour le praticien, l'engagement sinon bien évidemment de guérir le malade, […] du moins de lui donner des soins, non pas quelconques […], mais consciencieux, attentifs et réserves faites des circonstances exceptionnelles conformes aux données acquises de la Science »



« Nous avons besoin de force ; nous naissons dépourvus de tout, nous avons besoin d'assistance ».[1]

Cette faiblesse originelle qui caractérise chaque être humain, il faut y remédier dès les premiers instants de la vie. Elle constitue le déclencheur de la « rencontre entre soigneur et soigné »[2] et marque le début d’une relation longue et vraisemblablement asymétrique où l’un se positionne d’office en dominant vis-à-vis de l’autre. Devant le risque juridique qu’implique une telle configuration, l’immixtion du droit au sein de la relation médicale paraît tout à fait légitime. Pourtant, le droit s’est très longtemps tenu à l’écart de l’exercice de l’art médical.


  • Du temps de l´impunité médicale...

Jusqu’au début du 19ème siècle, il était inconcevable de considérer que le médecin puisse mal faire. Jouissant d’un statut particulier relevant exclusivement du clergé, son rôle n’était pas de guérir, mais simplement, dans un contexte de pure charité, d’accompagner au mieux le malade dans sa souffrance. Le sort de ce dernier dépendait alors strictement de la volonté de Dieu, car la maladie était considérée comme un avertissement ou un châtiment divin.


C’est avec l’introduction, par les philosophes des Lumières, des idées de démonstration rationnelle d’enchaînement des causes et des faits que la maladie cesse d’être un mystère. La spéculation cède la place à l’observation grâce à laquelle la description des maladies se précise et devient plus complète. Les médecins savent de mieux en mieux guérir et la multiplication des prouesses médicales favorise un nouvel état d’esprit dans lequel ces derniers doivent désormais pouvoir répondre de leurs éventuels échecs.


  • ... aux premières règles de déontologie médicale

La nouvelle conception de la médecine suscite l’apparition des premières règles de déontologie médicale contenues dans le célèbre serment d’Hippocrate. Il s’agit à l’origine de règles morales destinées à encadrer l’action du médecin (ce qu’il doit ou ne doit pas faire). La première de ces règles est celle du « D’abord ne pas nuire », en latin « Primum non nocere », qui rappelle que le soin n’est pas inoffensif pour celui qui le subit et que l’acte médical doit avoir pour objectif d’apporter au patient plus de bénéfices que d’inconvénients.


L’idée d’une responsabilité médicale du soignant est donc d’ores et déjà admise puisque le médecin qui prend en charge un malade s’oblige de fait envers ce dernier du moins à ne pas aggraver son état. Toutefois, cette responsabilité n’est que morale, car il apparaît encore impensable, dans l’opinion médicale, qu’un médecin doive répondre de son insuccès devant les tribunaux. Considérant que la pratique médicale ne peut se faire sans un certain nombre d'échecs, les médecins se contentent d’invoquer des « accidents malheureux » et voient dans l’éventualité d’une responsabilité médicale légale un véritable frein au progrès scientifique.


  • De l'avènement du principe de responsabilité civile délictuelle du médecin...

C'est un arrêt de la chambre des requêtes de la Cour de cassation datant du 18 juin 1835 qui vient sonner le glas de l’immunité médicale.


LES FAITS : 
En pratiquant une saignée sur le bras d’un ouvrier, un médecin avait sectionné l’artère brachiale, provoquant de fait une importante hémorragie. Suite à cela, une douloureuse tumeur se développa au niveau de la lésion de la saignée. Un anévrysme de l’artère brachiale ayant été diagnostiqué par un autre médecin, celui-ci pratiqua une opération à la suite de laquelle survint une gangrène rendant indispensable l’amputation.  

Imputant le dommage résultant de la privation de son bras au premier médecin, l’ouvrier rechercha la responsabilité de ce dernier. Condamné par la Cour d’Appel de Rouen[3] le médecin se pourvut en cassation, reprochant à l’arrêt confirmatif d’avoir retenu sa responsabilité alors que, selon lui, « il ne saurait y avoir contre le médecin aucun recours pour les prescriptions ou les opérations de son art »[4]. La Cour de cassation rejeta le pourvoi, statuant que les dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil[5] étaient applicables aux médecins ayant commis des fautes dans l'exercice de leur art.


Ainsi l’arrêt Thouret-Noroy constitue-t-il, avec d’autres, le point de départ l’édification jurisprudentielle du principe de responsabilité civile délictuelle du médecin.


Progressivement, la suspicion envers le corps médical s’installe et la libéralisation de l’information médicale devient une véritable revendication, traduisant un rejet de la médecine paternaliste. Le malade ne veut plus être perçu comme « une personne incapable de décider pour elle-même » et devant se contenter « d’acquiescer au modèle thérapeutique du médecin »[6]. Aussi la question de la qualification juridique de la relation médecin/patient a-t-elle très vite été au cœur des débats, d’autant que le principe de responsabilité civile jusque-là plébiscité s’était en fin de compte révélé insatisfaisant en raison notamment du délai de prescription de l’action civile jugé trop court.


  • ...à la consécration du contrat médical

Après presqu’un siècle de responsabilité civile délictuelle, la qualification contractuelle s’impose finalement comme la solution garantissant le plus de sécurité juridique au patient. En effet, à l’occasion de la célèbre affaire Mercier, la Chambre civile de la Cour de cassation française reconnaît pour la toute première fois l’existence d’un contrat médical :


« Il se forme entre le médecin et son client, un véritable contrat comportant pour le praticien, l'engagement sinon bien évidemment de guérir le malade, […] du moins de lui donner des soins, non pas quelconque […], mais consciencieux, attentifs et réserves faites des circonstances exceptionnelles conformes aux données acquises de la Science »

La consécration du contrat médical a eu pour effet majeur de permettre l’action en responsabilité contractuelle. Dans ce cadre, la responsabilité médicale désigne l’obligation qui pèse sur le praticien de réparer le dommage causé par la mauvaise exécution du contrat qui le lie à son patient.


Néanmoins, l’application du régime contractuel à la relation médicale est un sujet controversé, tant son particularisme semble de moins en moins en phase avec la nature contractuelle qu’on lui prête. Face à la notion de nécessité médicale notamment, les exigences légales du droit des contrats peinent à s’appliquer dans la relation de soins.


En France, depuis la loi 4 mars 2002, dite loi Kouchner, la distinction entre responsabilité délictuelle et responsabilité n’a plus grand intérêt puisqu’il a été établi qu´en matière de responsabilité médicale, la prescription est de 10 ans et ce, quel que soit le cadre dans lequel survient le dommage (situations extra contractuelles, situations contractuelles).






 

[1] Livre I de l’Emile

[2] L’homme, un être soigné, Anne-Marie Drouin-Hans [3] Qui confirma la décision du Tribunal d’instance d’Evreux [4] Loi du 19 ventôse an XI [5] Code civil ancien [6] Rude-Antoine, Edwige. « Le droit du patient mineur », Journal du droit des jeunes, vol. 313, no. 3, 2012, pp. 19-24.

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