top of page

Le droit à l'avortement au Gabon : vers un assouplissement des conditions d'accès ?

Dernière mise à jour : 13 mai 2023


Au Gabon, les avortements clandestins sont un véritable problème de santé publique. Chaque année, des centaines de femmes y ont recours faute de soutiens familiaux et de réelles mesures d’accompagnement social. Ces femmes font alors le lourd choix de s’exposer à des problèmes de santé plus ou moins graves (hémorragie, infections vaginales, perforation de l’utérus, avortement incomplet, stérilité), à des sanctions pénales[1] et à la mort. En effet, les avortements clandestins constituent l’une des principales causes des décès maternels au Gabon.

C'est à la fois confrontés à des chiffres toujours plus alarmants et en application du protocole de Maputo relatif aux droits des femmes signé et ratifié par le Gabon, que les pouvoirs publics ont initié, dès 2019, une refonte majeure, emblématique même, de la loi anti-avortement jusque-là en vigueur dans le pays. Ainsi, après des décennies de répression stricte de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), il existe désormais dans le corpus législatif gabonais un droit à l’avortement indirectement consacré par la loi du 5 juillet 2019 portant Code Pénal[2].

Il ne s’agit toutefois pas d'un droit absolu reconnu à toutes les femmes. En effet, l’avortement provoqué demeure puni par la loi pénale. Ce qui est néanmoins permis, c’est l’interruption Thérapeutique de Grossesse (ITG) dont les conditions d’accès devraient bientôt être élargies si l’on en croit le projet de réforme récemment adopté.





  • Qu’est-ce que l’ITG ?

L’interruption Thérapeutique de Grossesse, encore appelée Interruption médicalisée de Grossesse, c’est l’accouchement provoqué prématurément pour motif médical. Ainsi, contrairement à l’IVG clandestine qui est d’emblée envisagée comme un acte de pure convenance, l’ITG repose impérativement sur la notion de « nécessité médicale ». Notons qu’en dépit des changements terminologiques, l’ITG est acte volontaire qui, par conséquent, ne peut être pratiqué qu’avec le consentement libre et éclairé de la femme enceinte.

  • Quelles sont les conditions d’accès actuelles à l’ITG ?

L’ITG est une pratique strictement encadrée, régie par le nouvel article 245 en ses alinéas 2 à 4. Ainsi la loi prévoit-elle aussi bien les motifs du recours à l’acte d’avortement que les conditions liées à l’auteur, au lieu et au délai de sa réalisation.

1. Les motifs légaux

Ils sont au nombre de cinq. Mais il semble plus pratique de les regrouper en trois catégories :

- Le motif maternel : la poursuite de la grossesse compromet gravement la vie de la mère. Notons que le législateur parle uniquement du danger vital et ne fait donc aucunement allusion aux éventuels risques de santé non-mortels pour la femme enceinte. - Le motif fœtal : les examens prénatals ont révélé des anomalies génétiques ou chromosomiques indiquant que l’enfant naîtra avec des « malformations physiques graves ou incurables » ; - Le motif psychologique : soit la grossesse est la résultante d’un viol ou d’un inceste, soit la patiente est une mineure en « état de détresse grave », peu importe la manière dont elle est tombée enceinte.

Notons que chacun de ses motifs, y compris l’état de détresse grave, doit obligatoirement être certifié par « un médecin ».

2. L’auteur de l’acte

L’ITG ne peut être pratiquée que par un médecin. Sont donc exclus tous les autres professionnels de santé n’ayant pas ce statut (les sages-femmes par exemple). 3. Le lieu de l’acte

L’ITG doit impérativement être réalisée dans un « établissement hospitalier ». Le choix de terminologie opéré par le législateur est révélateur de sa volonté de réserver cette activité au secteur public sans doute par anticipation d’éventuelles dérives. 4. Le délai légal

« L’interruption thérapeutique de grossesse ne peut être pratiquée qu’avant le délai de dix semaines », soit deux semaines avant le terme du premier trimestre. En définitive, en l’état actuel de la loi, le droit à l’avortement bénéficie d’un encadrement strict, quoique insuffisant et quelque peu maladroit. En effet, des imprécisions demeurent quant au déroulement de l’acte d'avortement :

- ITG médicamenteuse ou ITG chirurgicale ?

- De plus, quelles garanties la loi offre-t-elle quant au risque de souffrance fœtale au moment de la réalisation de l’acte ?

- En outre, la notion d’ « état de détresse grave » ainsi que le rôle des parents ou responsables légaux de la patiente mineure mériteraient eux aussi d'être précisés.

- Enfin, est-il bien judicieux de faire reposer la légitimité de l’acte d’avortement sur l’avis d’un seul et unique médecin ?

Le projet de loi adopté en mars 2021 a-t-il pour ambition de corriger ces quelques lacunes ?

  • Qu’est-ce qui va changer avec la réforme ?

Nous fiant aux quelques informations rendues publiques, au moins trois changements devraient être apportés à la législation actuelle. Il s’agit dans tous les cas d’un assouplissement des conditions d’accès à l’ITG. Mais que faut-il en penser? 1. Concernant l’état de détresse grave de la patiente mineure

Il est prévu à la fois la suppression de l’adjectif « grave » et celle de l’obligation de faire constater cet état de détresse par un médecin. Ainsi, sous l’égide de la future loi, une mineure enceinte pourrait avoir recours à l’ITG toutes les fois qu’elle s’estimerait en « état de détresse » en raison de sa grossesse, peu importe que celle-ci résulte d’un acte sexuel consenti ou non.

Mais d'abord, qu'est-ce qu'un état de détresse? La loi actuelle ne le dit pas, et il est peu probable que la loi nouvelle en fasse autrement. Selon la littérature, cette notion renvoie à une angoisse, une grande peine d’esprit ou de cœur, « causée par la pression excessive de difficultés, de circonstances douloureuses, dramatiques »[3].

Or, aux yeux des rédacteurs de ce projet de loi, la patiente mineure serait seule à même d’apprécier son état de détresse. Comment, dès lors, ne pas craindre un recours abusif à ce motif psychologique ? D'ailleurs, comment encore justifier le caractère médical de cet avortement si l'état de détresse n'est même plus médicalement constaté?

Concernant l’imprécision relative au rôle des parents ou responsables légaux, il est pour l’instant difficile d’affirmer que le nouveau texte y remédiera. Pourtant il le faut !

En effet, le recours à l’ITG par une mineure sera-t-il soumis à l’accord de ses parents ou responsables légaux, ou la mineure pourra-t-elle librement consentir à cet acte médical même sans la présence de ceux-ci ? Il serait absurde que la loi nouvelle ne s’oriente pas vers la deuxième option, pour la simple et bonne raison que l’état de détresse évoqué découle généralement de la crainte que ressent la mineure quant à la découverte de sa grossesse par ses propres parents.

2. Concernant le délai légal

Le délai actuel de moins de 10 semaines de grossesse pourrait être élargi, sur avis médical. En autres termes, certaines patientes pourraient être éligibles à l’ITG même au-delà de la dixième semaine de grossesse.

Le motif de ce revirement réside notamment dans le fait qu’il est médicalement difficile de dépister des anomalies ou des maladies chromosomiques et génétiques au cours des 10 premières semaines de gestation. Par exemple, l’amniocentèse, cet examen qui permet notamment de diagnostiquer la trisomie 21, est généralement programmée à la fin du premier trimestre de grossesse, soit entre le 13ème et le 15ème mois de grossesse (15 à 17 en semaines d’aménorrhée). En l'occurrence, on se situe déjà au-delà du délai légal actuel.

Evidemment, cette possibilité d’élargissement du délai légal ne serait a priori réservée qu’aux patientes justifiant d’un motif fœtal : généralement, des femmes de plus de 38 ans ou ayant des antécédents médicaux et/ou familiaux inquiétants.

Reste à espérer que cet élargissement soit rigoureusement encadré, de manière à éviter toute dérive portant davantage atteinte à l’éthique. Il serait notamment bienvenu de soumettre la décision de recourir à l’ITG pour motif fœtal à l’avis, non pas d’un seul médecin, mais à celui d’un collège de médecins dont la composition devra être légalement définie.

Enfin, toujours au nom de l’éthique, et puisqu'il semble désormais impossible d'arrêter le train en marche, la loi nouvelle devrait consacrer quelques lignes au modus operandi de l’ITG et exiger plus particulièrement l’usage préalable d’un produit fœticide destiné à arrêter le coeur du fœtus ainsi condamné, de manière à lui éviter toute souffrance inutile. VOIR AUSSI :

 

[1] Article 245 nouveau du Code pénal.

[2] Ancien Titre X, articles 376 et suivants.



Cet article vous a-t-il été utile ?

  • 0%Carrément !

  • 0%Pas vraiment...



bottom of page