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La transmission volontaire du VIH : l'inefficacité de l’article 249 du Code pénal gabonais

Dernière mise à jour : 8 mai 2021



" Si cette pénalisation de la contamination volontaire par le VIH représente une véritable aubaine pour les nombreuses victimes en quête de justice, l'article 249, dans sa rédaction actuelle, révèle toutefois de réelles insuffisances faisant obstacle à une mise en œuvre efficace de ce dispositif. "



La transmission volontaire du VIH fait partie des infractions de « mise en danger d’autrui » prévues au Titre XII du Code pénal gabonais. Selon l'article 249, « quiconque se sachant atteint par le VIH ou atteint de toute autre affection transmissible de nature à mettre gravement en danger la vie ou la santé d’autrui, contamine sciemment autrui, est puni de quinze ans de réclusion criminelle et d’une amende de 20.000.000 de francs au plus. ».


Si cette pénalisation de la contamination volontaire par le VIH représente une véritable aubaine pour les nombreuses victimes en quête de justice, l'article 249, dans sa rédaction actuelle, révèle toutefois de réelles insuffisances faisant obstacle à une mise en œuvre efficace de ce dispositif. Ces carences, nous tenterons de les mettre en évidence par l'analyse de la structure même de cette incrimination.


En effet, pour qu'une infraction soit constituée, il faut la réunion de trois éléments : l'élément légal, l'élément matériel et l'élément moral. L'élément légal signifiant que l'acte ou le comportement de l'auteur doit impérativement être réprimé par la loi pénale, cette condition est pleinement établie dans notre cas. Nous ne nous y attarderons donc pas.


L'élément matériel de l'infraction de contamination par le VIH

L’élément matériel désigne l'ensemble des faits qui matérialisent l'infraction. Il s'agit soit d'une action soit d'une omission.


Dans le cadre de l'infraction de contamination au VIH, l'infraction est matérialisée par l'action de transmettre à autrui une maladie dont on est soi-même porteur. C'est par exemple un acte sexuel non protégé ou encore le fait pour l'auteur de mettre à disposition d'autrui un objet lui appartenant (brosse à dents, rasoir, seringue...) qu'il sait être infecté.


Notons que la contamination volontaire ne tombera sous le coup de l'article 249 que si l'auteur était effectivement lui-même séropositif. Dans le cas contraire, et si l'intention criminelle est établie, l'acte serait alors constitutif de l'infraction d'empoisonnement prévue aux articles 223-3 et 223-4.

La transmission volontaire du VIH est une infraction dite matérielle ou de résultat en ce sens qu'elle n'est pas constituée par la seule exposition d'autrui au virus. Il faut nécessairement que le résultat dommageable escompté se soit finalement réalisé. En d’autres termes, l'infraction ne sera consommée que si, à la suite de l'acte incriminé, la victime se retrouve elle aussi infectée.


Toutefois, la victime ainsi mise en danger sans succès pourra toujours poursuivre l'auteur pour tentative de contamination puisqu'en matière de crime, la tentative est toujours punissable.


Enfin, il doit exister un lien de causalité entre le comportement déraisonnable de l’auteur et l'infection de la victime. Autrement dit, il s'agit de prouver que la séropositivité de la victime est la conséquence directe de l'action de l'accusé. Mais dans la pratique, une telle preuve est difficile à rapporter.


En effet, concernant l'élément matériel, on ne peut que s'interroger sur la capacité actuelle de la science à dater avec précision le moment exact de la contamination. Autrement dit, à moins que la victime se soit faite dépister juste avant ET juste après les faits, rien en réalité ne permet d'affirmer avec certitude que c'est l'action du suspect qui est à l'origine de l'infection . Dès lors, une action en justice, même fondée sur l'article 249, aura bien du mal à prospérer.



L’élément moral

L'élément moral d'une infraction renvoie à « l'attitude psychologique de l'auteur vis-à-vis de la commission des faits réprimés par la loi pénale »[2]. L'auteur agit donc soit de manière intentionnelle (dol) soit de manière non-intentionnelle, c'est-à-dire par imprudence ou négligence.


La contamination volontaire par le VIH est une infraction intentionnelle. En effet, l’article 249 précise que « quiconque se sachant atteint par le VIH (…), contamine sciemment autrui ». Cela signifie que l’auteur doit non seulement avoir conscience qu’il est porteur du VIH, mais aussi savoir que son comportement peut aboutir à la contamination de la victime. Toutefois, contrairement à l'empoisonnement qui implique une intention homicide, l'infraction de l'article 249 ne suggère pas forcément que l'auteur souhaitait la mort de sa victime bien qu'il fût conscient que ce résultat était susceptible de se produire. Pour rappel, de nombreuses personnes porteuses du virus vivent longtemps sans jamais faire la maladie.


Mais là encore, sur le terrain de la conscience, d'importantes failles subsistent.


  • Comment prouver que l'auteur connaissait son statut sérologique ?

Pour connaître son propre statut sérologique, il faut naturellement se soumettre à un dépistage reposant en principe sur la base du volontariat [3]. En d'autres termes, rien ne vous oblige à savoir si vous êtes porteur ou non. D'ailleurs, au Gabon, de nombreuses personnes disent préférer ne pas savoir, persuadées que dès l'instant qu'on a conscience de son statut, on développe systématiquement les symptômes de la maladie.


En outre, quand bien même vous auriez consenti au test, le résultat obtenu relève toujours du secret médical, un secret que la loi elle-même protège rigoureusement et dont il est très difficile d'obtenir la levée par voie judiciaire.


Dès lors, l'article 249 se révèle inefficace puisqu'il suffirait, pour l'auteur, d'affirmer qu'il ne se savait pas porteur pour échapper aux poursuites.


En Côte-d'Ivoire, une loi de 2014[4] fait peser sur toute personne venant d'être informée de sa séropositivité d'en informer dans un délai de trois mois son conjoint ou ses partenaires sexuels. En cas de défaillance, le législateur a prévu une dérogation exceptionnelle au secret médical, permettant ainsi au personnel soignant de transmettre lui-même cette information.


Le législateur gabonais ne gagnerait-il pas à suivre cette piste de l'annonce obligatoire personnelle ou par l'intermédiaire du corps médical ? Cette piste peut-elle être suivie sans qu'il en résulte une stigmatisation de la personne infectée ? Ce qui est certain, c'est que l'existence d'une telle obligation favoriserait une attitude encore plus responsable des malades.


  • Comment prouver que l'auteur savait que la victime n'était pas déjà infectée ?

Comme on l'a vu, l'auteur doit, au moment de la commission de l'acte, se savoir porteur du virus et savoir que son action est susceptible de contaminer sa victime. Mais il doit également avoir conscience que sa victime n'est pas elle-même déjà porteuse. C'est notamment ce qui ressort de la lettre de l'article 249 qui précise que l'auteur « contamine sciemment autrui ». Car on ne saurait parler de contamination s'il n'y a pas en face de l'auteur une personne non infectée. Or là encore, cette information relevant de la confidentialité, il sera difficile de prouver que l'auteur savait que sa victime n'était pas déjà porteuse du virus.


  • Quid du consentement de la victime ?

Dans sa rédaction de l'article 249, le législateur n'a pas expressément envisagé le consentement victime. La loi pénale étant, en principe, d'interprétation stricte, doit-on y voir l'affirmation que le consentement ou non de la victime est sans intérêt dans la répression de l'acte ? Autrement dit, peu importe que la victime ait librement consenti à une relation sexuelle non protégée avec un individu dont elle n'ignorait pas la séropositivité, l'infraction demeure consommée; de même qu'un meurtre reste un meurtre même si la victime avait elle-même supplié l'auteur de lui ôter la vie.



En définitive, l'article 249, s'il a le mérite d'exister, ne garantit pas à ce jour une véritable sécurité aux victimes. Il mériterait d'être revu et complété. Car si les intentions sont louables, le texte est quant à lui inapplicable en l'état.




— Avec la participation de Prisca Obame de LMDD.





 

[1] L’article 249 (ancien article 383) est issu de la loi n°006/2020 du 30 juin 2020 portant modification de la loi n°042/2018 du 05 juillet 2019 portant Code Pénal de la République Gabonaise.

[2] Dalloz, Fiches

[3] Le dépistage est obligatoire dans certaines professions à risques.

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